Le CIVAM AD 49 a récolté le témoignage de deux éleveurs du Maine-et-Loire, l’un installé depuis 2005 en bovin viande, l’autre tout récemment installé en bovin laitier. Nous leur avons posé les mêmes questions. Les réponses apportées donnent différents éclairages sur le vécu de cette inflation.
Témoignage de Pascal Accary
Eleveur de bovins viande à Bouillé Ménard (Nord du Maine-et-Loire), installé depuis 2005.
Dans quelle mesure la hausse des prix des intrants impacte-t-elle ton activité ?
J’achète peu de choses à l’extérieur. L’alimentation des animaux est en quasi-totalité produite sur la ferme. Je n’apporte pas d’engrais azoté ; la fertilité des sols est maintenue par les fumiers de la ferme et les légumineuses (trèfle dans les prairies et pois).
L’impact de la hausse des prix des intrants est donc modéré pour moi. Il intervient surtout sur le coût du fuel. Je l’ai acheté 1,50€/L en 2022, contre 0,65€/L en 2020. Je consomme environ 4200L/an. Cela représente donc une dépense supplémentaire d’environ 3600€. Les tarifs des prestations extérieures (Entreprise de Travaux Agricoles et CUMA), par ricochet, ont eux aussi augmenté. Par exemple, les prestations de la CUMA ont augmenté de 15% entre 2020 et 2022.
Comment vis-tu cette situation ?
Je la vis plutôt bien. Grâce à mon système économe, la hausse des charges reste modérée. En parallèle, le prix de la viande a lui aussi augmenté : + 0,50€/kg de carcasse (grille de prix bio). Avec une vingtaine de bovins vendus par an, et un poids de carcasse moyen de 400kg, cela correspond à environ 4000€ de recettes en plus environ.
Mais il y a toujours de l’incertitude sur l’avenir, à la fois en termes de consommation de viande et de prix d’achat de la viande. En bio, on a la chance d’avoir un peu plus de stabilité et donc de visibilité sur le prix de la viande.
Quelles solutions as-tu déjà mises en place et penses-tu mettre en place à l’avenir pour t’adapter à cette situation ?
Ce printemps, contrairement à d’habitude, pour réduire les coûts, je n’ai pas fait d’ensilage d’herbe, qui est réalisé par l’entreprise et utilise des bâches plastiques. J’ai réussi à faire un foin précoce, première quinzaine de mai. Ce foin est nourrissant et me permet de retrouver une bonne pousse de l’herbe pour réintroduire ensuite la parcelle dans le cycle de pâturage.
Je souhaite aussi continuer à développer les surfaces pâturables sur la ferme. Ce qui veut dire planter des clôtures et amener l’eau dans les parcelles ! Avant je vendais les mâles en broutards entre 7 et 9 mois ; maintenant, je les élève en boeufs jusque 30 à 36 mois. En finissant les animaux sur la ferme, et le plus possible à l’herbe pâturée, je limite mes charges et bénéficie du prix d’achat de la viande.
Et si les prix des intrants diminuaient, changerais-tu pour autant ton système ? Quels sont les atouts d’un système autonome selon toi ?
Je ne changerai pas mon système. Nous sommes dans une période où les prix sont très volatiles. Avec un système autonome, on est beaucoup moins dépendants des marchés extérieurs. De plus, ce système herbager a des atouts en termes de travail. Les prairies sont en place pour plusieurs années. Il y a moins de temps de travail du sol. J’aime aussi être au contact de la nature, me balader dans les prairies au lieu de prendre le tracteur.
Qu’est-ce qui a facilité ou facilite pour toi la mise en place d’un système économe en intrants ?
Plusieurs points :
• Adapter la taille du troupeau au potentiel de rendement des terres; j’ai un chargement de 1,13 UGB/ha qui me permet d’être quasi-autonome.
• Mettre en place un système de pâturage tournant, avec des parcelles de taille modérées, pour valoriser le maximum d’herbe par le pâturage
• Renouveler les pâtures à faible rendement. Cela me permet d’intégrer des céréales dans la rotation, qui viendront à la fois nourrir les animaux et fournir de la paille, puis de réimplanter une prairie productive.
• Avoir des vaches capables de bien valoriser les fourrages grossiers. Ce qui veut dire des gabarits plus petits, une génétique adaptée, une éducation au pâturage tournant…
La race Aubrac me semble bien coller avec ces objectifs.
Selon toi, quels peuvent être les premiers pas à poser quand on veut aller vers un système autonome et économe ?
Pour commencer, il faut être convaincu du système, dans sa tête. J’ai eu l’occasion de voir des fermes herbagères avec un bon revenu et des agriculteurs heureux. Je me suis dit : « ça fonctionne ; pourquoi s’en priver ? »
Il faut accepter une baisse des produits, mais il faut compter sur une baisse des charges encore plus forte. C’est plus sécurisant de changer son système quand on a étudié l’impact économique et qu’on a vérifié qu’on serait toujours capable de rembourser les emprunts en cours.
Alors, on peut semer de l’herbe, et surtout ne pas hésiter à se former et prendre les conseils de chacun !
LA FERME DE PASCAL ACCARY
1 actif – 100 ha – 1,13 UGB/ha SFP – 65 vaches de race Charolaise, en transition vers l’Aubrac
Assolement
Alimentation des animaux
• L’herbe pâturée en priorité (52% des fourrages consommés)
• L’herbe récoltée sous forme de foin, enrubannage et ensilage d’herbe (48% des fourrages consommés)
• Un peu de mélanges céréales protéagineux (40kg/UGB/an en moyenne) autoproduits sur la ferme
Autonomie
Autonomie en fourrages 95% (40 TMS de foin acheté par an)
Concentré acheté 0
Engrais azoté acheté 0
Carburant 4200L/an, soit 42L/ha (travaux hors CUMA)
Témoignage de Tanguy Barbeau
Eleveur de vaches laitières à la Tessoualle (Sud du Maine-et-Loire), installé depuis juin 2022
Dans quelle mesure la hausse des prix des intrants impacte-t-elle ton activité ?
Le principal impact est sur la trésorerie. Par exemple, les tourteaux de colza sont à 150€/tonne de plus que prévu, ou encore le renouvellement du stock de carburant qui côute plus cher. Mais mon revenu se maintient, grâce à une augmentation de la paye de lait : 475€/1000L par rapport à 360€/1000L à la même période l’an dernier.
Comment vis-tu cette situation ?
Avec des augmentations brusques comme on a eu, on ne perd pas espoir mais ça nous fait drôle de payer du carburant agricole à plus d’1€ le litre, ça nous questionne. Pour ma part la réduction des intrants a toujours été un objectif depuis le début du projet. Avant de m’installer, j’ai travaillé dans d’autres fermes, et j’ai pu constater que ceux qui sont autonomes en intrants sont ceux qui s’en sortent le mieux à la fin du mois.
Quelles solutions as-tu déjà mis en place et penses-tu mettre en place à l’avenir pour t’adapter à cette situation ?
Premièrement j’ai remplacé le triticale par un méteil. Je n’y épands aucun produit phytosanitaire, et, grâce aux légumineuses du méteil, j’ai divisé par deux la dose d’azote par rapport à mon cédant, avec l’objectif de m’en passer totalement à terme. C’est moins de tracteur aussi, et une meilleure autonomie en protéines, donc la possibilité de réduire les achats de tourteaux. Je vais aussi implanter 3ha de luzerne cet automne.
Ensuite j’ai fait un test de maïs-sorgho sur 1ha, pour tenter le zéro phyto et augmenter le rendement fourrager. Si ça marche, j’en ferai 4 ou 5 ha l’année prochaine. Enfin maximiser le pâturage, c’est la base. Pour valoriser encore mieux l’herbe, j’ai commencé à changer de race, de la Prim’Holstein vers la Jersiaise. Six sont arrivées cette année.
Et si les prix des intrants diminuaient, changerais-tu pour autant ton système ? Quels sont les atouts d’un système autonome selon toi ?
Non, je ne changerais pas. C’est ce système-là qui me donne envie de me lever le matin. Cette façon de travailler m’intéresse : les vaches au champ, chercher la qualité davantage que le rendement, faire moins de tracteur… C’est tout un ensemble qui me plaît.
Qu’est-ce qui a facilité / facilite pour toi la mise en place d’un système économe en intrants ?
La conjoncture économique a accéléré le changement. Je serais allé vers un système extensif plus économe de toute manière, mais
moins vite sans ces prix des intrants élevés. Ensuite être sur le même longueur d’onde que mon cédant a facilité le développement de ce système à mon installation.
Selon toi, quels peuvent être les premiers pas à poser quand on veut aller vers un système autonome et économe ?
Sans hésitation, le pâturage ! C’est le plus efficace économiquement, la vache cherche son alimentation toute seule, et elle fertilise par les bouses. C’est doublement intéressant. Une fois qu’on est lancé sur la maximisation du pâturage, le reste du raisonnement suit.
LA FERME DE TANGUY BARBEAU
1 actif – 53 ha – 1,3 UGB/ha SFP – 45 vaches de race Prim’Holstein et Jersiaises
Assolement
Alimentation des animaux
• L’herbe pâturée en priorité (45% des fourrages consommés)
• L’herbe récoltée sous forme d’ensilage (15% des fourrages consommés)
• Le maïs ensilage (40% des fourrages consommés)
• Du méteil autoproduit sur la ferme, permettant de diviser par 2 les achats de correcteur pour les vaches. (anciennement du triticale autoproduit + tourteaux de colza/soja achetés)
Autonomie
Autonomie en fourrages 100%
Autonomie concentrés 53% (en cours d’amélioration grâce au méteil)
Engrais azotés achetés 2, 4t/an (à 46UN/100kg)
Carburant 3000L/an, soit 57L/ha (travaux hors CUMA)
Les systèmes autonomes et économes : un choix pour faire face a ces prix élevés
En élevage laitier, l’observatoire technico-économique de Réseau CIVAM l’a démontré : les systèmes pâturants dégagent plus de richesse
avec moins d’intrants. L’observatoire compare chaque année les performances des fermes Civam à la ferme laitière moyenne du RICA du Grand Ouest. L’observatoire a réalisé un comparatif sur 10 ans :
Les systèmes herbagers consomment moins d’intrants :
• 2 fois moins de concentrés pour nourrir les animaux,
• par hectare : 76 % d’économie d’engrais, 74 % d’économie de phytos et 29% d’économies sur la mécanisation.
Ces fermes ont dégagé plus de revenu pour les agriculteurs : une ferme herbagère non bio dégage en moyenne 24 920 € de Revenu
Disponible par actif, soit 7000 € de plus que la moyenne RICA (+39%), avec 85 000 L de lait vendu en moins .
De plus, ces systèmes, autonomes et économes, sont beaucoup moins dépendants des fluctuations des prix. Ainsi, grâce aux légumineuses et aux fumiers de ferme, les achats d’engrais sont réduits ; grâce au pâturage qui apporte une alimentation parfaitement équilibrée pour les ruminants, les achats de céréales et protéagineux sont eux aussi limités et le tracteur roule moins (“La vache a une barre de coupe à l’avant et un épandeur à l’arrière”, comme le disait André Pochon, agriculteur retraité, pionnier des systèmes herbagers).
Pour aller plus loin, retrouvez l’étude de l’Observatoire technico économique 2022
Retrouvez l’étude dans son intégralité
Télécharger l’article originel
Article du Civam AD 49 – Septembre 2022