Les groupes d’échange se sont d’abord réunis pour témoigner de leurs pratiques quotidiennes, basées sur leur connaissance des plantes locales, l’observation des animaux ou l’expérience d’astuces testées. Puis, des formations sont venues compléter ces échanges, afin de permettre aux agriculteurs de mieux comprendre la santé animale et d’être plus autonomes.
Ce travail autour du bien-être animal répond à plusieurs enjeux actuels :
- Favoriser la santé des animaux, en prévenant et limitant l’apparition des maladies, par une attention particulière aux modes d’élevage,
- Acquérir de nouvelles connaissances pour être en capacité d’agir soi-même,
- Anticiper l’intervention d’un vétérinaire pour les problèmes connus, en particulier dans les secteurs isolés,
- être en capacité de traiter plus précocement, permettant ainsi d’avoir une guérison plus rapide,
- Limiter l’usage des antibiotiques afin de garantir leur efficacité ainsi qu’une meilleure qualité des produits animaux,
- Limiter les charges liées aux soins vétérinaires, en réduisant les coûts des traitements,
- renforcer l’autonomie des paysans dans la gestion de la santé animale et la prise de décision, en leur apportant des outils permettant de mieux repérer les problèmes par plus d’observation, de comprendre les causes et d’agir.
Au fur et à mesure de l’avancée des travaux des groupes, différentes approches se sont développées. Très centrés sur la phytothérapie et l’homéopathie dans un premier temps, les paysan(ne)s ont ensuite expérimenté de nombreuses nouvelles pratiques telles que les médecines douces (shiatsu, ostéopathie…) ou l’observation (méthode OBSALIM…).
La santé animale : une approche globale
L’approche globale de la santé animale consiste d’abord à privilégier une démarche préventive, agissant principalement sur les causes des problèmes, avant d’avoir recours à l’allopathie qui agit sur les conséquences.
Les conditions d’élevage influent fortement sur certaines maladies ou infections, car elles peuvent fragiliser l’animal. Par exemple, les problèmes sont généralement plus nombreux lors des changements d’alimentation, lors de l’arrivée d’animaux issus d’autres troupeaux, ou lorsque les animaux sont confinés ou en sureffectif.
Estelle Sivault, installée en élevage caprin et transformation fromagère dans le Puy de Dôme, porte une attention particulière aux conditions d’élevage, afin de limiter les maladies :
« J’adopte des pratiques d’élevage permettant d’améliorer le bien-être de mes chèvres et de développer leur immunité. Réaliser de petits parcs de pâturage quotidiennement (en respectant 4 mois entre 2 passages ou bien une fauche intermédiaire) m’évite de traiter mes chèvres contre les parasites. La mono-traite, un paillage abondant quotidien et du « kéfir » pulvérisé sur la litière limitent les mammites des chèvres et le développement de germes pathogènes dans le lait. Un bâtiment bois lumineux, une aération naturelle au-dessus de la tête des animaux, une stabulation spacieuse, une place par chèvre au cornadis…Beaucoup d’éléments qui favorisent le bien-être, diminuent le stress en bâtiment et améliorent la résistance aux maladies. Enfin, des apports en minéraux pendant la lactation, des vitamines en hiver et des oligoéléments en périodes difficiles (mises-bas, reproduction…) améliorent l’immunité de mes biquettes. »
Certains vétérinaires, comme Gilles Grosmond, prennent en compte cette vision globale qui repose sur les équilibres et l’immunité des animaux :
« La santé animale est un état d’équilibre fragile qui, en élevage, est constamment perturbé par les contraintes du milieu extérieur et celles liées aux fonctions de production (performances laitières, vitesse de croissance…). L’état de santé d’un animal est donc déterminé par sa capacité à maintenir ses équilibres physiologiques, à se défendre des attaques extérieures et enfin à construire des équilibres avec les micro-organismes. Biologiquement, vivre seul est impossible. Faire le choix de solutions alternatives en santé animale ne se résume pas à substituer aux pratiques traditionnelles des recettes dites alternatives. Dans la relation complexe qu’entretient l’animal avec son milieu, l’organisme déploie une panoplie de modalités réactionnelles et adaptatives, que l’éleveur doit connaître et soutenir. Cela implique une approche nouvelle des pratiques d’élevage. Par exemple travailler sur l’immunité d’un troupeau, en jouant sur l’alimentation minérale, sur les conditions de logement ou sur la qualité de l’eau, permet de faire baisser toutes les maladies. On parle d’approche globale du troupeau voire de la ferme (y compris la production fourragère et les sols). »
Des approches et des pratiques diverses :
Au sein du territoire du Massif Central, les agriculteurs expérimentent de nombreuses pratiques, dont voici quelques illustrations.
L’homéopathie :
L’homéopathie répond à 3 principes fondamentaux :
- La loi de similitude : la guérison peut être obtenue par la prescription à faible dose de la substance dont les effets expérimentaux sont semblables à ceux de la maladie observée.
- L’individualisation de l’animal à soigner.
- La prescription de doses infinitésimales de médicaments (tirés du monde animal, végétal ou minéral), obtenues suite à de nombreuses dilutions, plus ou moins fortes selon l’intensité du problème.
Pour Hahnemann, le fondateur de l’homéopathie, la maladie n’est pas juste l’expression de symptômes, mais est due à 2 facteurs un déséquilibre dans la force vitale et une occasion (microbes, choc, coup de froid…). Ainsi, pour chaque malade, les conditions d’apparition de maladies seront différentes.
Pour choisir le bon remède, l’éleveur ou le vétérinaire doit référencer un maximum de symptômes, tant sur les problèmes physiques présentés par l’animal (fièvre, plaie, écoulements…), que sur les changements psychologiques (mélancolie, énervement, joie…), mais également s’interroger sur les conditions d’apparition des symptômes (suite froid, suite avortement…). En homéopathie, des symptômes a priori minimes peuvent se révéler cruciaux pour le choix du remède, l’observation et la connaissance de son troupeau sont donc les éléments de base de cette discipline.
Gilles Chevalier, éleveur de vaches allaitantes et brebis en Auvergne
L’élevage classique me convenait de moins en moins (plus de charges). J’ai rencontré un animateur proposant d’autres solutions dont l’homéopathie faisait partie. J’ai suivi une formation de base proposée il y a 6 ans et j’essaie d’aller à un maximum de formations pour toujours essayer de mieux comprendre cette médecine. Ainsi, j’ai eu la chance de faire des formations avec 5 vétérinaires et 1 médecin qui ont chacun des variantes dans leur approche. J’ai également trouvé un bon forum et j’ai pu faire une synthèse de ce qui me convient le mieux.
Pour bien pratiquer l’homéopathie, il faut s’accrocher, essayer, mais quand on voit un résultat, on est vite motivé pour poursuivre. Son coût est également réduit. Sa facilité d’administration (bouche, vulve, aliment) et le peu de fois à donner en font également un atout.
Il y a 3 ans, je découvre une tumeur mammaire de 5 cm sur ma chienne. Le vétérinaire déclare ne pas pouvoir l’opérer car c’est cancéreux et mal placé. Il peut juste donner des calmants. Perdu pour perdu, je cherche un remède homéo, aidé par des vétérinaires et paysans. Certains remèdes n’ont pas agi (on ne trouve pas toujours du 1er coup) ; d’autres ont agi un certain temps, avant de ne plus faire effet. Maintenant, j’en suis au 3ème efficace (bonne régression et assèchement de la tumeur). C’est la chienne qui me montre quand elle a besoin d’une dose, en traînant la patte. Je pourrais sûrement soigner beaucoup de mes animaux malades mais une loi interdit d’utiliser l’homéopathie en élevage ; seuls les mélanges homologués sur animaux peuvent être utilisés.
Pour aller plus loin sur les aspects législatifs relatifs à l’usage des plantes en élevage,
Retrouvez les actions & arguments du collectif “plantes en élevage” dont nous faisons partie : www.plantesenelevage.fr
La médecine chinoise
Vieille de 6 000 ans, la médecine traditionnelle chinoise est le fruit de nombreuses connaissances théoriques et pratiques venues de toute l’Asie. Elle possède ses propres outils et sa façon particulière d’interpréter les causes des maladies, de poser les diagnostics et de concevoir la physiologie. Elle s’attarde notamment à décrire les liens mécaniques ou énergétiques entre les organes et le reste du corps. La médecine chinoise comporte 5 disciplines principales qui peuvent être appliquées en élevage. Parmi celles-ci, la diététique des saveurs montre des résultats intéressants en termes de prévention des maladies à l’échelle du troupeau. Cette pratique consiste à maîtriser la composition et le rythme de distribution de la ration afin de limiter les excès et/ou carences énergétiques (ex: le feu du blé peut être maîtrisé par trempage dans l’eau pour limiter l’acidose). Elle comprend également l’incorporation dans l’alimentation des animaux de saveurs venant soutenir les organes les plus mobilisés à chaque saison (ex: apport de chlorure de magnésium-amer l’hiver pour réchauffer les poumons).
Vincent Savy, éleveur de vaches laitières en Aveyron
« J’ai entendu parler de l’usage de la médecine chinoise pour la prévention des pathologies en élevage pour la première fois en 2014. Cela me paraissait complexe mais apportait un nouveau regard pour comprendre les facteurs déclenchant des maladies. Par curiosité, je me suis inscrit à des formations organisées sur ce thème et j’ai commencé par tester quelques pratiques sur mes vaches. Le principe de base repose sur le respect des rythmes du vivant et des saisons. Au quotidien, j’accompagne les animaux à préparer la saison suivante en stimulant, via l’usage des 5 saveurs (piquant, amer, doux, salé, acide), les organes qui seront les plus sollicités. De même, je m’applique à faire tremper les céréales de la ration et à alterner différentes qualités de foin selon l’heure des repas pour limiter les problèmes digestifs.
Avec le recul, les résultats sont au rendez-vous. Les vaches sont très peu malades, présentent de meilleures chaleurs et retiennent très rapidement l’insémination animale. Les mises-bas se déroulent très bien, les vaches se nettoient rapidement et les veaux ont plus de vitalité. L’ensemble de ces éléments favorise de bonnes lactations.
A l’avenir, j’aimerai cultiver ou récolter des végétaux locaux qui pourraient remplacer les épices et matières premières que j’achète pour répondre aux 5 saveurs (oignon ou radis noir à la place du poivre par exemple). De même, j’aimerai regrouper les vêlages au printemps, car c’est la saison la plus propice aux mises-bas et à la lactation, et tarir en début d’hiver. »
Phytonutrition fonctionnelle / phytothérapie :
Les plantes médicinales et les huiles essentielles (issues des plantes médicinales aromatiques) ont la faculté d’activer, naturellement et de manière puissante, les processus biologiques autonomes de régulation et d’adaptation des animaux. Dans les périodes de fortes sollicitations des animaux (mise-bas, lactation, nouveau-nés, agressions extérieures), des déséquilibres physiologiques risquent d’apparaître, malgré le respect de pratiques d’élevage adaptées. Dans ce cas, les plantes médicinales soutiennent et activent les fonctions fondamentales de l’organisme : l’appétit, le métabolisme nutritionnel, la détoxication par le foie et les reins, le tonus et la vitalité, l’immunité naturelle et la préservation des équilibres. Sachant que l’organisme a les capacités naturelles et autonomes de préserver ses équilibres, il a simplement besoin d’être « nourri et soutenu » dans les périodes à risque. En prévention ou en soutien physiologique, seules ou associées à une thérapeutique, les plantes sont utilisées dans un but de phytonutrition fonctionnelle, en jouant sur les synergies et la polyvalence des multiples plantes médicinales, utilisées comme activatrices fonctionnelles et non comme médicaments. (Source : approche de Philippe Labre, vétérinaire)
Lynda Bouet, éleveuse de brebis en agriculture biologique en Ardèche
« Après le passage en bio de ma ferme, j’ai suivi en 2010 une formation organisée par Agribioardèche sur les pratiques vétérinaires alternatives. J’utilisais déjà peu de médicaments et souhaitais améliorer la santé de mes animaux et leur immunité.
Ensuite, j’ai eu envie de continuer à me former, pour gagner en autonomie, et j’ai rejoint le groupe d’échanges du CIVAM en 2015. Des formations avec un vétérinaire et un pharmacien botaniste et les astuces qu’on a pu échanger entre éleveurs, m’ont permis de connaître plein de recettes et de pratiques, simples à mettre en place. Ces professionnels qui nous accompagnent sont aussi disponibles pour répondre à nos interrogations ou besoins ponctuels, ce qui est appréciable car sur le territoire il n’y a que des vétérinaires conventionnels. Avec le groupe d’échange, on organise aussi des commandes groupées et on arrive à trouver des produits localement (lien avec un apiculteur, des producteurs de PAM…). Aujourd’hui, j’utilise les plantes surtout en prévention et l’efficacité est remarquable.
Par exemple, pour la prévention de la coccidiose, je donne de l’argile mélangé à du sel et je mets du vinaigre de cidre bio dans l’eau. Si l’infection se développe, en curatif, je fais un mélange d’huiles essentielles (ail, cannelle, girofle, thym, origan) que je donne 2 fois par jour aux agneaux, pendant 4 jours environ. L’année dernière, j’ai eu une épidémie soudaine de coccidiose avec plusieurs morts en quelques jours et, grâce à ce remède, j’ai réussi à enrayer l’épidémie et à préserver mes autres agneaux.
Avec ces remèdes, je pense avoir diminué de 25 % mes frais vétos en évitant les interventions d’un vétérinaire et en réduisant tous les médicaments allopathiques (sauf traitement antiparasitaire, mais réalisé après coprologie et seulement sur animaux infestés). Ainsi, je suis plus autonome pour gérer la santé de mon troupeau. J’aimerais encore m‘améliorer, en achetant moins de préparations et en utilisant plus de plantes locales, en lien avec les producteurs de mon territoire. »
De plus en plus d’éleveurs et d’éleveuses se tournent vers de nouvelles pratiques en santé animale, celles-ci se révélant efficaces sur nombre de pathologies ; les gains liés à la réduction des maladies et des frais en médicaments peuvent être importants.
Avant de s’orienter vers ces techniques, les éleveurs doivent comprendre les équilibres qui régissent la santé animale et mener une attention particulière aux pratiques d’élevage.
La mise en œuvre de pratiques vétérinaires alternatives nécessite un temps important pour se former et acquérir des compétences, pour savoir poser un diagnostic et comprendre les causes du problème, pour finalement oser se lancer dans la pratique. Il est nécessaire de bien observer ses animaux, de faire des essais et d’en noter les résultats, de prendre du recul pour comprendre les échecs. Les groupes d’échange sont pour cela enrichissants, car ils permettent d’apprendre des autres, de confronter les difficultés. L’appui de vétérinaires disponibles pour accompagner les éleveurs dans leur recherche d’autonomie est essentiel.
Un article de Aline Morel
Paru dans le Bulletin de l’ADMM N°3