Semer ou attendre ? C’est la question que se posaient les producteur.ices au Printemps 2023. Alors que le chanvre non textile se sème vers le 15 avril dans l’est de la France, en Normandie on suit les préceptes du lin textile : implanter dans une terre structurée, réchauffée, humide mais ressuyée : soit début mai pour assurer une levée du chanvre rapide. Plus facile à dire qu’à faire car cette année la pluie s’est invitée jusqu’au 10 mai, retardant quelque peu les semis. Aussitôt semé, on surveille les corbeaux. Ces oiseaux raffolent des graines et des jeunes pousses. On retrouve d’ailleurs la graine de chanvre vendue en oisellerie ! Les producteur.ices avaient pourtant préparé la défensive : canons à gaz, épouvantails… Mais les corvidés sont intelligents et s’adaptent à tout.
On en apprend un peu plus chaque année sur le comportement de la culture. Des vents particulièrement froids de début juin ont stoppé la croissance du chanvre pendant 10-15 jours, chose qui n’était jamais arrivée encore dans les essais.
Été : trouver une faucheuse
En juillet, on le regarde pousser ! En effet, le chanvre a plusieurs avantages. Il étouffe les plantes adventices sous ses grandes tiges et ne connaît pas de maladies ou de ravageurs. Donc, aucun besoin de sortir le pulvérisateur, c’est du zéro phyto.
Début août, le chanvre fleurit, il est temps de faucher. Et pour ça, il faut du matériel spécifique ! Le constructeur belge Hyler a mis au point, en 2021, un automoteur capable de faucher, sectionner et paralléliser en deux les tiges de chanvre. Aujourd’hui, une machine permet d’absorber 150 ha de cultures et plus, à terme. En comparaison, la machine précédente, une faucheuse frontale chinoise de 2,40 m de largeur, fauchait péniblement 1 ha à la journée… quand elle ne bourrait pas.
Mais cette année, la filière a été victime de son succès : beaucoup de surfaces implantées et trop peu de machines disponibles pour assurer l’ensemble des fauches dans la fenêtre idéale. Résultat : des récoltes tardives, étalées jusqu’à la rentrée.
Septembre : attendre le rouissage
Grâce à l’alternance de pluie et de soleil et la macération qu’elle provoque, le chanvre rouit. Les micro-organismes dégradent le liant pectique. Les fibres de chanvre deviennent ainsi plus fines et plus souples. Cette action est impérative pour faciliter la séparation de l’écorce avec la tige. Cette année, la fauche tardive dans l’été a allongé la duré nécessaire au rouissage, l’ensoleillement se réduisant sur le mois de septembre.
Il reste à attendre le teillage (opération mécanique, consistant à extraire la fibre de l’écorce de la tige) quelques mois plus tard pour savoir si la qualité de fibre a été impactée.
Malgré cette année compliquée, un nombre croissant d’acteur.ices s’intéresse à la filière. Des premiers résultats d’essais encourageants confirment même l’intérêt du chanvre pour la rotation des cultures avec une réduction de 55% du salissement* sur lin d’hiver suivant la culture de chanvre comparé à celle d’un méteil* (en bio). Des essais qui se poursuivent.
* Lexique :
Salissement : technique de travail du sol visant à ouvrir le sol et le retourner avant le semis.
Méteil : association d’une ou plusieurs céréales avec éventuellement un ou plusieurs protéagineux. Il permet de sécuriser les stocks d’alimentation pour bêtes sur l’hiver dans les zones où les risques de sécheresse sont important.
Ailleurs qu’en Normandie, d’autres groupes Civam relancent la culture du chanvre :
- Chanvre et Paysans basé en Loire Atlantique regroupe des producteur·ices et citoyen·nes, l’association encourage l’utilisation du chanvre fermier dans l’éco-construction et l’alimentation, et forme et partage des savoir-faire techniques dans la filière.
- Lo Sanabao, créée en 2005, réunie 15 producteur.ices répartis sur les 3 départements du Limousin. Ils et elles produisent du chanvre bio ou sans utiliser de pesticides depuis 8 mois avant la culture jusqu’à la récolte. Ils commercialisent en circuit court un chanvre transformé à la ferme.
- L’Alpad (Landes) participe (ainsi que Lo Sanabao) à l’émergence d’une filière Chanvre Nouvelle-Aquitaine impulsée par le Conseil Régional de Nouvelle-Aquitaine. L’Alpad met en place des essais variétaux et teste également différents itinéraires techniques qui permettront d’identifier des pistes de travail pour mettre en place une filière landaise.
Un peu d’histoire
Le chanvre est cultivé en Europe depuis l’Antiquité pour la qualité de ses fibres. Il était utilisé pour la production de papier, de vêtements, de cordages et de voiles de bateaux. Il devient rapidement un matériau stratégique pour les marines de guerre et de commerce. Il est notamment largement cultivé en Bretagne, Normandie et dans le val de Loire. Sous le règne de Louis XIV, on estime qu’un navire de taille moyenne nécessite 60 à 80 tonnes de chanvre par an sous forme de cordages et de voiles. Concurrencé par le jute, le coton puis des fibres synthétiques, la culture du chanvre textile décline rapidement au début du XXe siècle. En France, les surfaces cultivées en chanvre passent de 176 000 ha en 1840 à 3400 hectares en 1939.
La culture du chanvre est aujourd’hui de retour dans de nombreuses régions en raison notamment de son caractère économe en intrants. Les débouchés ayant disparus suite à l’effondrement de la filière au siècle dernier, des filières se développent à nouveau : textile comme en Normandie, mais également huile, éco-matériaux…
D’après l’article de Guillaume Beauer, des Civam normands, paru dans la Lettre de l’agriculture durable n°107 en janvier 2024