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Femme & paysanne : témoignage de Manou des Champs

Manou s’est installée en tant qu’éleveuse de chèvre en Ardèche dans les années 90. Engagée dans les Civam depuis plus de 20 ans, elle a à cœur les questions de genre, et ose parler haut pour faire reconnaître la place des femmes en Agriculture. Entretien

 

Femme et Paysanne.. Tu nous dis quelques mots sur ton parcours ?

Parisienne d’adoption, j’ai quitté le milieu du bureau pour m’installer en agriculture dans les années 90. Je me suis dit, “Puisque tout le monde fait du fromage de chèvre, moi je vais faire des yaourts !”
Je me suis installée sans aides, car je refusais le schéma classique d’installation. Dans ces années-là, j’aurais dû faire une équivalence BPREA dans une agriculture classique c’est à dire élevage extensif et ce n’était pas ce qui m’intéressait. Je ne me voyais pas m’installer en agriculture avec des chèvres toutes blanches, écornées, qui ne sortaient pas…

 

C’est en cherchant des conseils, que j’ai rencontré les réseaux alternatifs (Civam, Adear… ). Ils m’ont conseillé de me mettre en GAEC pendant 3 ans, qui était une équivalence d’école agricole. Ça me permettait de d’apprendre le métier avec quelqu’un et après de pouvoir m’installer. Lorsque j’ai trouvé ma ferme, je me suis surtout endettée ! Il y avait des chèvres, pas encore en Bio, mais j’ai fait ce qui fallait pour le devenir.

Quand je me suis installée, ça a été compliqué pendant 2 ans… Parce que déjà j’étais une femme, je venais de la ville, et je faisais du bio… Je ne rentrais pas dans les cases.

Il y a une anecdote que j’aime bien raconter à ce sujet. Au début, y avait des représentants qui venaient et qui me demandaient « il est là le patron ? » je répondais « ben non il n’est pas là le patron ». Au bout de 3 fois ils disaient « mais il est jamais là le patron ?! ». Je me faisais un petit plaisir de leur répondre sèchement « Non parce que c’est une patronne ». J’expliquais pas, je ne disais pas que c’était moi, parce que je trouvais irrespectueux de leur part de supposer qu’une femme ça pouvait pas être cheffe d’exploitation. Il y a encore beaucoup de boulot à faire en agriculture, sur la place des femmes.

Il est là le patron ? Ben non il n’est pas là le patron.
Mais il est jamais là le patron ? Non… parce que c’est une patronne

Vouloir agir pour la place des femmes, ça a joué dans ton investissement politique ?

Dès que je me suis engagée dans les CIVAM, je me suis aussi bougée pour faire reconnaître la place des femmes.
Par exemple c’était fréquent que les mecs disent « J’ai pas le temps d’aller en réunion ». Au bout d’un moment ça m’énervait je leur disais « Arrêtez de me dire que vous êtes tous seuls et que vous n’avez pas le temps. Tu dis que t’es tout seul, mais pendant que t’es dans les champs, ta femme fait la traite, elle s’occupe de la maison et de tes gamins. Tes gamins que t’espères bien qu’un jour ils reprendront ta ferme ». C’est tous ces codes qui ont été instaurés, déjà dans les écoles, qui m’énervent et qui existent malheureusement toujours.

 

Là où je me suis un peu bagarrée c’était il y a 5/ 6 ans, lorsque j’ai voulu mettre en place des formations uniquement pour les femmes (mécanique, soudure, électricité… ) On m’a dit que c’était discriminatoire… Mais on a tenu, on a mis ces formations non mixtes en en place et ça a bien pris !

Maintenant on a même des mecs qui veulent venir faire les formations avec nous, parce qu’ils trouvent que c’est plus zen !

 

Grâce à des financements de la région, on a pu travailler avec le Civam de la Drôme sur la place de la femme en agriculture. Avec une 20aines d’agricultrices de chaque département, on se retrouvait pour parler et échanger de nos ressentis sur les fermes. On a fait des journées avec une sociologue, et on a fait un film… Ca a fait un peu bouger les choses ! Et lorsqu’on a refait des formations non mixtes, ça a été mieux compris par exemple.

A voir – “Je tu elles…femmes en agriculture ”,
Documentaire réalisé par le Civam de la Drôme et de l’Ardèche

 

Selon toi, elles ont évolué les choses pour les femmes ?

Je ne trouve pas que ça avance vite. La femme a toujours du mal à trouver sa place. On reste un peu en retrait… Il faut qu’on parle plus fort, et si on veut vraiment être reconnues, il faut que l’on soit beaucoup plus visibles. Dans les instances associatives par exemple on n’est pas assez représentées. Ça commence par-là : l’agriculture n’est pas représentée par que des mecs, c’est pas vrai !
Ya des nanas je leurs disais, « tu as des trucs à dire, c’est important que tu t’exprimes ! Vas-y ! » « Ah non je préfère que ce soit mon mari ! » Pourquoi ? Parce qu’il aura plus temps à consacrer puisqu’il ne s’occupe pas de la lessive et de la vaisselle ?

 

Ma proposition pour les Conseils d’Administration : Je propose que lorsque un gars parte, il se fasse représenter par une femme, et inversement. Comme ça on aura toujours la parité au niveau des instances du réseau.

 

Et demain ?

Je pars à la fin de l’année à la retraite. J’ai trouvé un jeune qui va s’installer à ma place ! Il est stage de transmission, je trouve que c’est génial. Quand je vois le nombre de fermes en Ardèche qui s’arrêtent parce-que les mecs veulent pas lâcher. Et moi ce que j’ai pu construire en 20 ans, que je puisse le donner à un jeune… Je suis super fière ! Je vais souffler un peu et voyager. Alors je garderai toujours un œil sur le réseau… on se refait pas !

 

 

Pour aller plus loin :

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