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1. Une nouvelle PAC pour quelle agriculture et quel monde rural ?
Les enjeux auxquels doit faire face le monde agricole et rural aujourd’hui et dans les années à venir sont sans précédents : dérèglement climatique ; pollution des sols, de l’eau et de l’air ; érosion de la biodiversité ; perte de qualité des productions alimentaire ; inégalités d’accès à l’alimentation ; désertification du monde rural ; concentration des exploitations agricoles au détriment de l’emploi ; inégale répartition de la valeur dans les filières…
La crise liée au COVID 19 qu’a traversé le monde souligne plus encore l’importance de notre système alimentaire et de son mode de production dans les changements à venir. D’une part, l’apparition de telles zoonoses correspond à la libération d’agents pathogènes de leur milieu qui peut être causée par la surexploitation des ressources due à certains modes de production agricoles industriels. D’autre part, le confinement a révélé les failles de notre système de production et de distribution de l’alimentation en générant des problèmes d’écoulement de certaines denrées, tout en rendant encore plus difficile l’accès à l’alimentation des populations les plus précaires. Enfin, cette crise a remis les problématiques de santé publique sur le devant de la scène, en particulier le rôle de l’alimentation dans les facteurs de risques vis-à-vis de la maladie (obésité, malnutrition…).
Les politiques agricoles et leurs évolutions, ces dernières décennies, ont une certaine responsabilité dans le chemin qui a conduit à cette situation. Lors de sa mise en oeuvre en 1962, la Politique Agricole Commune avait un objectif clair de sécurisation alimentaire, de stabilisation des marchés, d’augmentation de la production et d’augmentation du niveau de vie des populations agricoles tout en garantissant des prix raisonnables pour les consommateurs. Depuis, la PAC n’a cessé d’être remaniée. Elle est aujourd’hui devenue plus une politique de soutien au revenu des agriculteurs qu’une politique de stabilisation des marchés et de sécurité alimentaire. Elle a tenté d’intégrer les enjeux écologiques et de développement rural en espérant palier, paradoxalement, aux problèmes qu’elle a elle-même contribué à générer : agrandissement des exploitations agricoles au détriment du renouvellement des générations, accompagnement de la baisse tendancielle des prix agricoles, soutien à des modèles agricoles et alimentaires standardisés ayant un fort impact sur l’environnement et la santé… Mais ses efforts sont encore trop timides. Force est de constater que l’agriculture que soutient la PAC a des difficultés à faire face aux enjeux du monde actuel. Elle a même une certaine responsabilité dans cette crise environnementale, économique et sociale. Au regard de ce contexte, un maintien au soutien à l’agriculture ne pourra être compris et légitimé par les citoyens que s’il s’inscrit en réponse à ces préoccupations.
Il s’agit donc, pour le monde agricole et pour les politiques publiques qui le soutienne, de se fixer de nouveaux objectifs prioritaires :
contribuer à la souveraineté alimentaire en s’assurant de l’accès à l’alimentation pour tous, en veillant une meilleure répartition de la valeur dans les filières et ce grâce au développement des filières territoriales ;
renouveler les modes de production afin de préserver les grands équilibres écologiques en développant une agriculture dont les mécanismes reposent sur le fonctionnement des agroécosystèmes. Ces modes de productions devront en particulier s’adapter au changement climatique, tout en freinant son dérèglement ;
être partie intégrante du système de santé publique en produisant une alimentation saine et de qualité.
Au-delà de la PAC, la commission européenne lance aujourd’hui le Green Deal, une politique stratégique et structurelle pour tenter de remédier à la situation actuelle. Ce programme est décliné en plusieurs composantes dont deux sont particulièrement liées aux questions agricoles et alimentaires : Les stratégies « Biodiversité » et « de la Ferme à la Fourchette ». La première a pour but de freiner le déclin de la biodiversité et la seconde de transformer les modes de production et de distribution de l’alimentation.
Pour la Commission Européenne, la PAC sera la boite à outils qui rendra concrètes les ambitions de ces politiques stratégiques de l’UE. Ainsi, dès les prochaines années, les fonds de relance débloqués par la Commission Européenne sur le PAC suite à la crise du COVID 19 devront s’aligner sur les objectifs de ces nouvelles grandes stratégies.
Mais pour que les résultats soient effectifs, la PAC devra favoriser l’émergence de nouveaux modèles agricoles et ruraux. Afin d’y parvenir, les réseaux CIVAM, TRAME et CUMA soutiennent une véritable transition agroécologique et alimentaire. Celle-ci doit s’inscrire dans des dynamiques plurielles que les collectifs locaux d’agriculteurs et de ruraux de ces réseaux mettent déjà en oeuvre :
Ils adoptent une démarche de progrès et s’engagent dans un processus de changement de pratiques et de systèmes.
Ils se construisent une vision des enjeux territoriaux et sociétaux dans lesquels ils évoluent, et précisent l’horizon à atteindre pour y répondre.
Ils permettent les liens entre les acteurs du territoire et favorisent la synergie de leurs actions.
Ils s’appuient sur les fonctionnalités des écosystèmes.
Ils engagent ses actions dans une approche globale et systémique des exploitations autour de plusieurs dimensions : économiques, environnementales, sociales.
2. Les grands principes sur lesquels se fondent les propositions des réseaux CIVAM, TRAME et CUMA
Afin d’atteindre ces objectifs, les propositions des réseaux CIVAM, TRAME et CUMA s’ancrent sur un socle de principes sur lesquels ils proposent que les politiques publiques se réfèrent.
2.1. Le territoire comme échelon de travail
A l’échelle de l’Union Européenne, le terme “territoire” peut représenter des réalités bien différentes (territoire européen, national, régional, local …). Les réseaux CIVAM, TRAME et CUMA souhaitent proposer une délimitation du territoire comme un espace à taille humaine permettant l’échange et la coopération entre agriculteurs et autres acteurs. L’expérience de l’accompagnement collectif et de l’agriculture de groupe le place à une échelle infra-départementale, de l’ordre du pays.
2.2. La diversité comme manière d’appréhender l’agriculture
Les modes de productions agricoles très industrialisés soutenus par la PAC jusqu’à présent ont reposé sur une standardisation des pratiques et des productions et sur une spécialisation des fermes et des territoires. Pour les réseaux CIVAM, TRAME et CUMA, au contraire, le moteur de la transition agro écologique repose sur la valorisation de la diversité à tous les échelons, du génome jusqu’au territoire.
diversité génétique : En favorisant la biodiversité génétique (mélange de plusieurs variétés d’une même espèce ; variétés “population” ; races locales), les cultures et les animaux sont plus robustes et s’adaptent mieux à leur environnement (changement climatique, modes de production agro-écologiques à bas niveau d’intrants …).
diversité entre espèces cultivées : Mélanger différentes espèces au sein de la même parcelle confère de nombreux avantages : Complémentarité entre les graminées et les légumineuses ; la densité végétative permet de maîtriser la flore adventice ; la progression des ravageurs dans la parcelle est freinée …
sur une échelle pluriannuelle, l’allongement de la rotation confère également de nombreux bénéfices agronomiques, notamment en rompant les cycles des bioagresseurs et des adventices. De même l’allongement des durées d’élevage et d’engraissement permet de mieux finir les animaux avec des pratiques adaptées aux territoires.
diversité des ateliers de production : Favoriser la diversité de différents ateliers (élevage, cultures, énergie renouvelable, agro-foresterie, apiculture, viticulture, arboriculture …) confère de nombreux avantages, les biens et services produits par un atelier pouvant bénéficier aux autres. Cette diversité peut être mobilisée au sein d’une même exploitation agricole comme au sein d’un même territoire en favorisant les échanges entre différentes exploitations.
diversité des savoirs et des expériences au sein du groupe : Favoriser la mixité entre des agriculteurs bien engagés dans leur transition agro-écologique et d’autres en début de démarche permet à tout le monde de progresser : l’expérience des uns bénéficiant aux autres. L’hybridation de savoirs paysans et scientifiques au sein d’un même collectif peut également constituer un levier pour améliorer les connaissances de tous.
diversité des acteurs, des métiers, des mandats : impliquer différents acteurs (agriculteurs, enseignants, artisans, gestionnaires de cantines, restaurateurs, associations, entrepreneurs, élus locaux …) est essentiel si l’on souhaite démultiplier la transition agro-écologique au-delà de la production agricole. Cela requiert des compétences solides (connaissance des acteurs, traduction, animation, accompagnement) mais les bénéfices pour le territoire sont prometteurs (création de valeur et de richesse, nouvelles filières, alimentation locale, emplois, lien social, etc.).
Diversité alimentaire : la diversité alimentaire s’entend à la fois comme une réponse à une nourriture standardisée et pauvre d’un point de vue nutritionnelle mais aussi comme l’un des fondements de notre intégrité physique (nous sommes tout ce que nous mangeons), de nos rapports aux autres (à la fois dans les diverses formes de commensalité comme de liens entre producteurs et consommateurs) et de notre identité (l’alimentation a aussi une dimension culturelle et symbolique). Cette diversité est nécessaire pour garantir une alimentation de qualité, accessible à tous et en adéquation avec les aspirations de chacun.
2.3. Le collectif comme support d’action
L’agriculture de groupe : une définition partagée
Les agriculteurs impliqués dans des groupes organisés (plus de la moitié des agriculteurs en France) jouent un rôle décisif pour répondre à ces attentes et relever ces défis. C’est ce qu’on appelle l’agriculture de groupe, présente sous diverses formes en Europe et définit de la manière suivante dans la proposition de loi n°1994 soumise à l’Assemblée Nationale le 5 juin 2019 :
« L’agriculture de groupe est définie par des collectifs, implantés sur un territoire à taille humaine, composés d’une majorité d’agriculteurs, lesquels ont pour vocation la mise en commun de façon continue et structurée de connaissances ainsi que de ressources humaines et matérielles. Ce sont des personnes morales qui poursuivent un but d’utilité sociale ou d’intérêt général. Ils s’appuient sur une gouvernance démocratique, collégiale et contractuelle, fondée sur un droit égal de vote pour chacun des cocontractants ».
Selon cette même proposition de loi, ces collectifs sont au service de la triple performance économique, sociale et environnementale.
Le collectif pour s’ancrer sur le territoire
Le collectif d’agriculteurs entendu de cette manière est une entité qui permet d’intégrer finement le territoire dans la définition du projet du groupe. En effet, les membres d’un groupe partagent des conditions pédoclimatiques proches ainsi qu’un environnement social commun. En construisant un projet collectif, ils s’attachent à prendre en compte cet environnement, à s’appuyer sur lui et à en préserver les ressources pour définir leur projet. Le collectif d’agriculteur permet aussi de mobiliser plus facilement d’autres acteurs du territoire en légitimant un projet porté à plusieurs et en ouvrant les points de vues à partager. Les agriculteurs sont les plus à même de sensibiliser les autres agriculteurs, de témoigner des bénéfices des collectifs et de mobiliser les réseaux.
Le groupe pour se rassurer dans la transition
Les agriculteurs expriment des peurs et des craintes face au changement : peur de ne pas arriver à maîtriser le nouveau système ; crainte des nouveaux apprentissages et nouveaux repères à acquérir ; pression sociale ; tourner le dos à son réseau de relations … Et ceux qui ont fait le parcours en témoigne : le groupe les a aidés, il est facilitateur de changement : il rassure, il donne accès à l’expérience des autres, il donne de l’énergie…
Au-delà d’être un espace privilégié pour l’apprentissage des nouvelles pratiques, le collectif est un lieu où l’on peut mesurer ses avancées dans le contrat, anticiper les éventuels contrôles, expliquer les méthodes et identifier des marges de progrès pour la mise en œuvre du changement. Les questions réglementaires sont très présentes et le collectif peut être un lieu pour lever les freins (si je perds du terrain, si je m’agrandis, si je transmets, si je manque de fourrages, …).
Les avancées se font grâce au partage d’expériences, à l’expérimentation et aux échanges dans une logique d’horizontalité où la méthode prévaut sur la prescription.
Le collectif pour mieux s’organiser
L’agriculture de groupe est le lieu de concrétisation d’actions qui ne pourraient voir le jour si elles étaient portées par un seul de ses membres. Ainsi, le partage de matériel en commun, la gestion d’un magasin de producteur, la constitution de trame verte, pour ne citer que quelques exemples, permettent de concevoir, d’investir et de s’organiser à plusieurs pour conduire des projets dont les bénéfices reviennent à tous.
Une telle organisation collective à l’échelle d’un territoire, de par sa dimension humaine et sa souplesse, permet aussi de s’armer et de s’adapter en temps de crise. La période de confinement liée au COVID 19 a montré comment les producteurs organisés collectivement avaient pu s’adapter rapidement dans la commercialisation de leurs productions (mise en place de drive fermier, relocalisation de la distribution…) et cela en concertation avec les autres acteurs du territoire.
3. Les grandes lignes des propositions CIVAM CUMA TRAME
Les réseaux CIVAM, CUMA et TRAME qui structurent en France l’agriculture de groupe interpellent l’Etat et les Régions pour que la prochaine PAC puisse pleinement prendre en compte les dynamiques collectives, dans ses orientations, sa construction et son cadre de mesures afin d’engager une réelle transition agro écologique.
3.1. Redéfinir les objectifs de la PAC et lui redonner une légitimité
En tant que politique structurelle de l’Union Européenne, la PAC se doit d’être le moteur de cette transition pour regagner en légitimité aux yeux des contribuables et des agriculteurs. Elle doit donc se doter de nouveaux objectifs tels que définis en introduction de ce document.
La crise du COVID 19 mais aussi les récentes stratégies du Green Deal (Biodiversité et Farm to Fork) renforcent encore l’idée de consolider les objectifs de la PAC pour être à la hauteur de ces enjeux.
Ces objectifs doivent être inscrits en premier lieu dans les fondamentaux de la réforme. Les finalités de chaque dispositif de cette politique (paiements couplés et découplés, mesures d’investissement, mesures environnementales, aides à l’installation…) doivent être redéfinis en fonction de ces grands objectifs afin d’en assurer une cohérence d’ensemble.
3.2. Des montants financiers mieux répartis
Afin de répondre sérieusement à ces objectifs dans un contexte sans précédent, les réseaux CIVAM, CUMA et TRAME tiennent à une Politique Agricole véritablement Commune avec une vision partagée portée par l’ensemble des Etats Membres et un budget ambitieux, maintenu voir renforcé.
Une meilleure répartition des aides est essentielle pour donner une nouvelle légitimité à la PAC aux yeux des citoyens européens qui la financent. Les réseaux CIVAM, CUMA et TRAME souhaitent un rééquilibrage des budgets afin de réorienter plus efficacement les aides vers des objectifs correspondant aux enjeux cité plus haut (emplois, agroécologie, territoires…) :
Au sein de l’architecture de la PAC avec un rééquilibrage maximisé des montants du premier pilier en faveur du second, dans le cadre permis par la Commission Européenne pour les Etats Membres. En effet, seuls les mécanismes du second pilier permettent de favoriser une véritable transition des modèles agricoles et ruraux car :
le second pilier permet d’engager les agriculteurs vers des objectifs et de proposer des jalons progressifs pour y parvenir, notamment via des dispositifs tels que les MAEC Système ;
le second pilier permet des financements sur plusieurs années via une contractualisation et ainsi assure une transition qui s’inscrit nécessairement dans le temps long ;
le second pilier permet d’influer sur l’appareil de production grâces aux aides à l’investissement qui peuvent orienter sa nature et son dimensionnement.
le second pilier permet de financer des dispositifs à l’échelle des territoires et ainsi de rendre plus fine l’action publique en fonction des spécificités locales ;
le second pilier finance des exploitations agricoles mais aussi d’autres acteurs du monde rural et en particulier les structures qui accompagnent les agriculteurs dans leurs changements.
Entre les bénéficiaires des aides PAC :
en poussant plus loin les mécanismes de convergence interne sur les DPB pour aller progressivement vers un système de paiements surfaciques unique (SAPS).
en plafonnant les aides à l’actif pour éviter les effets de concentration sur certaines exploitations et ainsi favoriser l’emploi, la vie dans les territoires, les installations et revaloriser le travail plutôt que l’appareil de production :
Ce plafonnement (dont le montant reste à définir) concernerait essentiellement les aides du premier pilier.
Les actifs pris en compte correspondent à la fois aux exploitants et aux salariés avec toutefois un seul salarié éligible par exploitant afin de privilégier les installations d’agriculteurs plutôt que les grosses structures.
les aides de la PAC ne seraient plus accessibles au-delà de 65 ans afin de les cibler sur les actifs plutôt que sur les retraités.
3.3. Valoriser les collectifs dans les aides du premier pilier
Le premier pilier de la PAC correspond aux aides directes et annuelles à destination des exploitations agricoles. Dès ses premières communications sur la réforme, la Commission Européenne a fourni un cadre qui pourrait permettre de renforcer l’impact environnemental de ce principal pilier de la PAC. La principale mesure de ce cadre est l’Ecoscheme.
Pour les Réseaux CIVAM, CUMA et TRAME, ce renforcement environnemental du premier pilier a un grand intérêt car il peut être massif à condition d’être ambitieux. Il s’agit bien de rémunérer des systèmes de production ayant déjà fourni un effort certain dans la transition agroécologique afin d’inciter les autres à y accéder.
Comme mentionné plus haut, l’agriculture de groupe a un effet démultiplicateur sur l’évolution des systèmes. Le collectif permet aussi d’assurer une certaine continuité territoriale aux mesures qui pourraient être soutenues dans le premier pilier, comme par exemple la constitution de trames vertes grâces à la mise en place d’IAE sur plusieurs fermes d’un même territoire. Les réseaux CIVAM, CUMA et TRAME proposent donc de valoriser le collectif dans le cadre de l’Ecoscheme :
De manière ambitieuse en permettant à un collectif porteur d’un projet agroécologique solide de bénéficier directement de cette enveloppe du premier pilier ;
A minima, en proposant une bonification de 30% aux agriculteurs membres d’un collectif porteur d’un projet agro écologique ambitieux.
3.4. Des dispositifs forts dans le second pilier pour soutenir la transition agroécologique
Les réseaux TRAME, CIVAM et CUMA veulent un second pilier fort. Ils insistent sur l’importance de l’approche régionale du FEADER pour mieux prendre en compte les enjeux territoriaux. Pour ces trois réseaux, les mesures du second Pilier doivent se focaliser sur la transition vers des systèmes plus respectueux de l’Homme, de l’environnement et des territoires.
Trois leviers peuvent être mobilisés :
Levier 1 : des soutiens aux exploitations qui s’engagent dans une transition agroécologique :
Le second pilier doit proposer une série de mesures permettant d’engager les exploitations vers la voie de l’agroécologie dans l’esprit des MAEC Systèmes actuelles. Afin de proposer une série de mesures de ce type réellement efficaces, il est nécessaire de faire un bilan de la mise en œuvre des MAEC dans la programmation actuelle :
L’accent mis sur les MAEC unitaires focalise l’action sur des enjeux environnementaux sectoriels et n’interroge pas toujours le projet d’exploitation dans son ensemble. Les objectifs du soutien public se limitent parfois à atténuer des problèmes sans interroger leurs causes profondes et ne recherchent pas toujours la pérennisation des pratiques.
Elle oppose environnement et économie, considérant les pratiques agro-environnementales comme sources de pertes économiques que le soutien public devrait compenser via un calcul de la rémunération reposant sur le manque à gagner de l’agriculteur.
La mise en œuvre est très inégale et très injuste sur les territoires. Elle créée des effets d’aubaine pour des exploitations qui ont “la chance” d’être sur une zone “à risque”. A l’inverse, des secteurs entiers n’y ont pas accès.
Elle n’est pas adaptée pour répondre à l’enjeu majeur que constitue le réchauffement climatique, enjeu qui n’est pas limité à certaines zones.
Les MAEC Systèmes se sont retrouvées noyées au milieu d’un trop grand nombre de mesures unitaires. Cette situation a rendu ces mesures peu lisibles pour les agriculteurs et trop lourde pour l’administration, grevant notoirement leur efficacité en termes d’action publique.
Pourtant les MAEC Système se sont révélées être un outil très efficace pour engager des transitions dans les régions où elles ont pu être financées de manière ambitieuses et appliquées sur l’ensemble du territoire. Ce fut notamment le cas en Bretagne où le PDRR a inclus la MAEC SPE (Systèmes Polycultures Elevages) en la cofinançant entièrement et où elle a été ouverte sur l’ensemble du territoire. Ainsi se sont 167 000 ha qui ont été contractualisés sur une SAU de 1, 65 millions d’ha, soit près de 10% de la SAU bretonne.
Des Mesures Agro Environnementales et Climatiques s’appliquant à l’ensemble du système de production
Afin de déployer leur application dans la future PAC, ces mesures doivent reposer sur des cahiers des charges relatifs à des systèmes de production prédéfinis (polycultures élevage, grandes cultures, maraichage…) et inclure des leviers adaptés à chacun d’eux.
Mais ces cahiers des charges ne peuvent être conçus et normalisés sans concertation avec les acteurs des territoires. Pour apporter des réponses efficaces dans la diversité des territoires, il apparaît essentiel de construire une logique de mise en œuvre qui puisse concilier rigueur agro-écologique, subsidiarité locale, et simplification administrative. Pour cela, les réseaux CIVAM, TRAME et CUMA proposent de repenser ces mesures agro-environnementales pour construire un nouveau dispositif dans l’esprit des MAEC Système :
Un cadrage national en 4 points :
Une architecture de cahiers des charges autour de principes d’actions structurants pour accompagner la transition agro-écologique qui mixe objectifs de résultats et repères pour y parvenir autour de grands enjeux agroécologiques (santé publique, qualité de l’air, climat, biodiversité cultivée, …), comme par exemple
– réduction de l’usage des pesticides
– augmentation de la diversité cultivée, allongement des rotations
– pas d’utilisation de substances actives préoccupantes
– culture de légumineuses, y compris en mélange
– alimentation des ruminants à base de prairie
– socle minimum d’infrastructures agro-écologiques
– couplage cultures / élevages et lien au sol
… Ces enjeux étant globaux, ils ne justifient pas de ciblage territorial
Une définition de ces principes d’actions pour une application dans le cadre d’un projet global d’exploitation (100 % de la SAU, 100 % des ateliers …).
des mesures contractualisées avec les agriculteurs sur plusieurs années (5 à 7 ans), avec une progressivité des exigences pour faciliter les transitions ;
Une boite à outil de cahiers des charges suffisamment grande :
– pour répondre à l’intégralité des situations (élevage, céréales, viticulture, arboriculture, maraîchage, systèmes mixtes …),
– pour proposer une progressivité cohérente entre l’ambition agro-écologique et la rémunération du contrat (plus le nombre d’espèces cultivées est important, plus la rémunération est grande ; plus la réduction des pesticides est importante, plus la rémunération est grande, etc.).
Une mise en œuvre territoriale :
Avec une sélection et un affinage des cahiers des charges (ajustement des curseurs, subsidiarité locale…) à l’échelle des territoires pour une appropriation du cadrage national cohérente et participative. Les mesures ainsi définies pourront être mobilisées par tous les agriculteurs (pas de zonage) en cohérence avec des aides à l’investissement et des soutiens à l’accompagnement, le tout défini dans un projet de groupe et formalisés par un Contrat de Transition Agroécologique et Territorial (cf. partie 5 ).
La reconnaissance du droit à l’expérimentation et le temps passé par les agriculteurs dans des collectifs
Au-delà de ces MAEC Système qui permettent d’engager les agriculteurs vers des pratiques reconnues pour leurs aspects agroécologiques, il s’agit aussi de permettre à certains d’entre eux d’expérimenter et de trouver de nouvelles voies. Or l’expérimentation comporte des risques, elle engage celui qui la mène vers des résultats incertains, pourtant c’est la manière la plus fine pour trouver des solutions adaptées aux territoires. Ces expérimentations passent généralement par un investissement en temps important, notamment dans les dynamiques collectives. Les réseaux CIVAM, TRAME et CUMA souhaitent que la PAC reconnaisse ce droit à l’expérimentation en déployant des financements permettant de prendre en compte ce temps passé dans les collectifs à débroussailler de nouvelles pistes pour dessiner l’agriculture de demain.
La PAC devrait définir par suite un droit à l’expérimentation qui, sous certaines conditions contractualisées et le temps de l’expérimentation, permette de s’affranchir d’une réglementation dans une certaine limite et pour un temps donné.
Levier 2 : des aides à l’investissement pour des outils de production mieux adaptés à l’agroécologie :
Le second pilier doit favoriser les investissements réellement adaptés à une transition agroécologique. Les réseaux CIVAM, TRAME et CUMA proposent que les aides à l’investissement (hors bâtiment) soient fléchées exclusivement vers les collectifs et financent du matériel remplissant les critères suivants :
Des outils qui permettent de développer des pratiques relevant de l’agroécologie, qui facilitent la transition et qui ont un impact faible sur le climat ;
Des outils qui réduisent la pénibilité et facilitent le travail des agriculteurs sans mettre à mal leur autonomie vis-à-vis de leur outil de production.
Des outils qui permettent des collaborations à l’échelle du territoire dans un esprit de sobriété (avec du matériel au dimensionnement proportionné aux usages agroécologiques et avec la possibilité d’y inclure le matériel d’occasion ou auto construit) ;
Des outils non seulement ciblés sur le fonctionnement des systèmes de production mais qui soient aussi au service du système alimentaire du territoire (outils de transformation, de commercialisation, de distribution…)
une éligibilité des dossiers conditionnée à la réalisation d’un accompagnement et d’un diagnostic territorial.
Les aides à l’investissement ainsi définies doivent permettre de renouveler l’appareil de production afin que celui-ci soit adapté à la transition agroécologique. Toutefois, ces aides à l’investissement ne doivent pas être un frein à la transmission des exploitations et au renouvellement des générations. Il s’agit donc de faire entrer ces aides dans des mécanismes de plafonnement des soutiens à l’actif.
Levier 3 : des aides à l’accompagnement ciblées sur les collectifs
Le second pilier doit soutenir des démarches d’accompagnement de collectif d’agriculteurs engagés dans l’agroécologie et l’alimentation durable. Les dynamiques collectives sont essentielles car elles permettent les échanges entre pairs (mais aussi avec les autres acteurs du territoire), les expérimentations et la mobilisation de ressources communes. Elles permettent aussi de rassurer les individus qui composent le groupe faces aux incertitudes du changement. Ces dynamiques nécessitent un accompagnement adapté, dont les soutiens de la PAC doivent tenir compte :
en développant des approches d’accompagnement dans la durée assurées par des structures de terrain ;
en favorisant l’expérimentation en soutenant la prise de risque par les agriculteurs et leurs collectifs ;
en soutenant l’émergence d’innovations techniques et sociales développées par et pour les praticiens de manière appropriable et reproductible.
Les réseaux CIVAM, CUMA et TRAME proposent la mise en place de dispositifs de soutien aux collectifs d’agriculteurs ou aux membres engagés au sein d’un collectif d’agriculteurs avec les critères suivants :
la prise en compte du financement du temps d’animation des collectifs ;
des dispositifs ciblés particulièrement sur l’émergence de collectifs afin d’appuyer la démultiplication des démarches de changement, de soutenir le montage de nouveaux groupes et d’aider les collectifs à formuler leurs projets. Cette phase est particulièrement critique et importante pour favoriser l’innovation et trouver de nouvelles solutions, adaptées aux territoires, hors des sentiers battus.
des dispositifs multi-acteurs qui visent à la relocalisation des filières et à favoriser l’accès à tous de l’alimentation comme les PAT (Projets Alimentaires de Territoire).
Ces aides à l’accompagnement collectif doivent être définies en cohérence avec les MAEC Systèmes et les aides à l’investissement et formalisé dans le cadre d’un Contrat de Transition Agroécologique et Alimentaire de Territoire (cf. partie 5 de ce document).
4. PAC post 2020, faire le pari de l’agriculture de groupe grâce aux Contrats de Transition Agroécologique et Alimentaire de Territoire
Les réseaux TRAME, CUMA et CIVAM sont conscients que l’application de ces trois leviers ne peut aboutir à une réelle transition s’ils sont appliqués seuls ou de manière non cohérentes. Afin de gagner en efficacité et de démultiplier leur impact, les trois réseaux proposent que ces leviers soient mobilisés au sein de Contrats de Transition Agroécologique et Alimentaire de Territoire à destination d’agriculteurs engagés dans des collectifs agricoles :
Le contrat est établi entre un agriculteur membre d’un collectif (avec une référence explicite au collectif auquel il appartient) ou le collectif en tant que tel, la structure qui accompagne le collectif de référence et les pouvoirs publics.
Le contrat fait explicitement référence à un collectif et à son projet qui doit détailler les objectifs à atteindre, les moyens pour y parvenir et les éléments d’évaluation de son action. Le projet se doit d’avoir une finalité de transition agroécologique forte en reliant de manière cohérente les aspects liés à la production et à l’alimentation. Il pourra notamment être fait un lien avec les dispositifs de type PAT (Projets Alimentaires de Territoire).
Chaque Contrat de Transition mobilise de manière cohérente et en adéquation avec le projet du collectif des mesures telles que détaillées plus haut sur trois volets :
Des mesures de changement de systèmes sur lesquels s’engage l’agriculteur
Des soutiens à l’investissement adaptés au projet du groupe et de ses membres
Des aides à l’accompagnement à destination de la structure qui s’engage à suivre le groupe et est garant du suivi du contrat de transition.
L’ensemble des mesures qui peuvent être mobilisées sur ces trois volets sont définies au niveau régional en cohérence avec la déclinaison nationale de la PAC. Le choix de la mobilisation de telle ou telle mesure pour chacun de ces volets est défini par le collectif et la structure qui l’accompagne en cohérence avec le projet du groupe et son territoire.
Le contrat est établi sur une durée de 5 à 7 ans afin de soutenir une transition sur la durée.
Le collectif attenant au contrat de transition peut aussi intégrer des acteurs autres que des agriculteurs afin de privilégier les dynamiques territoriales et notamment le développement de filières de territoire aptes à valoriser les ressources locales et à redistribuer la valeur ajoutée localement.
C’est autour de ces positionnements et de ces propositions que l’agriculture de groupe pourra être véritablement prise en compte dans la prochaine PAC et qu’elle pourra jouer pleinement son rôle pour répondre aux enjeux de l’agriculture et des territoires ruraux de demain. Réseau CIVAM, TRAME et la FNCUMA sont prêts, il ne reste plus qu’à l’Etat et aux Régions à s’en emparer politiquement et à les décliner dans la prochaine programmation.
A propos de Réseau CIVAM
Structure nationale des Centres d’initiatives pour la valorisation de l’agriculture et du milieu rural qui accompagne 140 collectifs, 13 000 paysans et acteurs du monde rural engagés dans la transition des modes de production agricole et alimentaire et dans la promotion des dynamiques territoriales.
A propos de la FNCUMA
Réseau fédératif des Cuma de France (Coopératives d’Utilisation de Matériel Agricole) au service de l’agriculteur et de son autonomie, qui développent au-delà de la mécanisation, des projets territoriaux. 12 000 coopératives de proximité, 1 agriculteur sur 2, et un réseau de 75 fédérations dédiées à l’accompagnement.
A propos de TRAME
Tête de Réseaux qui accompagne des collectifs d’agriculteurs et de salariés agricoles vers la triple performance, explore de nouvelles activités et favorise l’échange et informe. 6 Réseaux adhérents et 35 000 personnes