Transaé prend racine en 2011-12 lorsque le projet Casdar PraiFacE, “Faciliter les évolutions vers des systèmes herbagers économes et respectueux de l’environnement”, porté par le Réseau agriculture durable, se posait cette question: “comment se fait-il que les systèmes herbagers dont la performance économique, environnementale et sociale est largement démontrée, n’ont-ils pas plus d’adeptes ?” Afin d’y répondre, l’équipe de PraiFacE a rencontré 80 éleveurs.euses du grand Ouest pour comprendre leurs freins et motivations à passer à des systèmes plus économes. La plupart d’entre eux.elles ont mentionné le travail.
Pour certain.es, le travail a été une motivation pour changer de système : pour réduire l’astreinte, changer de type d’activité, retrouver du sens dans ce qu’ils font. Pour d’autres, le travail a joué comme un frein au passage à un système herbager : crainte de ne pas avoir les compétences nécessaires, d’avoir de nouveaux apprentissages à faire et du temps à y passer, etc.
Une chose est sûre, pour ceux et celles qui ont changé de système, cela a impliqué un changement de travail profond. Suite à ces constatations, le projet Transaé s’est construit pour répondre à plusieurs questions :
- Comment se caractérise le travail dans différents types de systèmes pâturants ?
- Comment accompagner les agriculteur.rices en individuel ou en collectif qui souhaitent changer ou ont déjà changé de système, sur les questions de travail ?
Travail : qu’est ce qui préoccupe les éleveurs.euses ?
Nous sommes allés rencontrer les 66 éleveur.ses volontaires pour les questionner sur leur travail et savoir ce qui les préoccupe à ce sujet. Certain.es ont connu une transition vers un système “agroécologique”, certain.es étaient en cours de transition, d’autres se sont directement installé.es en système économe. Les préoccupations et les satisfactions de travail que nous avons recueillies sont variées :
- la charge de travail trop importante,
- l’organisation à plusieurs pas toujours facile,
- la difficulté à trouver du sens dans son travail,
- le goût pour certaines activités plus que d’autres,
- l’image du métier positive/négative
… bref, autant de perceptions du travail que d’humains, ce qui en fait un thème complexe à aborder car très personnel.
Un accompagnement individuel ciblé sur le travail.
Ce premier entretien éleveur.se-animateur.ice a déjà été en soi un début d’accompagnement : se ménager un temps pour prendre du recul sur son travail, être écouté et échanger sur ce que l’on fait avec quelqu’un, se (re)poser des questions essentielles comme “Dans mon travail, qu’est-ce qui est plaisant pour moi ? Qu’est-ce qui m’est pénible?”, “Est-ce que je suis suffisamment en cohérence avec cela ou est-ce que j’ai besoin de réduire la part qui me déplait ou qui est difficile à vivre ?” permet déjà d’avancer.
Ces entretiens ont été ensuite analysés par les ergonomes, chercheur.euses et animateur.rices pour y rechercher des “points d’ancrage”, c’est-à-dire des points à travailler, des effets négatifs du travail à réduire ou des effets positifs à amplifier. Chaque agriculteur.trice a eu un regard sur ses points de difficultés, pour les valider ou non et les prioriser. Marc, éleveur en Bretagne exprime par exemple une difficulté à concilier vie professionnelle et vie personnelle ; Julien, éleveur en Limousin, ressent de la solitude dans le travail sur la ferme.
L’accompagnement individuel s’est poursuivi durant les 3 ans avec des rendez-vous en face à face plus ou moins réguliers, pour faire le point sur ce qui a progressé et fixer de nouveaux objectifs.
“Cela m’a aidée à remettre à plat certaines difficultés avec mon associé. Le dialogue entre nous est plus facile maintenant et nous avons réorganisé le travail d’hiver”
Marie, éleveuse en Loire Atlantique.
“Les échanges m’ont “obligée” à prendre des temps de réflexion sur mon travail, dans un quotidien très chargé. Cela m’a aidée à prendre des décisions et à agir Depuis j’ai décidé de prendre plus souvent quelqu’un pour me remplacer quand je vais à des réunions ou des activités extérieures. Je suis plus sereine et le travail est fait.”
Françoise, éleveuse en Maine et Loire
Parler plus souvent de travail en groupe d’échange.
Si l’on aborde communément en groupe le thème du travail sous l’angle du temps de travail, de la main d’œuvre et de l’organisation, on parle moins souvent du sens que l’on met dans son travail, des apprentissages que l’on fait, de la charge physique et mentale que l’on porte. Plusieurs journées de groupe sur le thème du travail ont été organisées dans les 10 CIVAM et GAB du projet pour aborder toutes les facettes du travail, avec des techniques d’animation qui facilitent l’expression de chacun.e. Echanger en groupe sur ses difficultés de travail permet de se sentir moins isolé et parfois de trouver des pistes de solutions.
Les préoccupations des éleveurs exprimées sur ces journées étaient proches de ce que nous avions pu recenser. L’objectif est de s’habituer à parler du travail tel qu’il est réalisé et vécu autant que de technique et d’économique dans les groupes Civam-Gab.
Changements chez les agriculteur.trices…
Pour une partie des 66 agriculteurs.rices rencontré.es, l’accompagnement a participé à engager un changement vers un système plus économes ou une évolution de la production avec maintien en agriculture durable. Chez d’autres, cela a induit un changement de posture par rapport au travail, une réorganisation, l’acquisition de matériel, un mieux au quotidien. Dans tous les cas, les entretiens et le travail de groupe ont permis un temps de questionnement sur leur propre travail et une prise de conscience : “travailler en système économe ne suffit à garantir la durabilité sociale.”
… mais aussi chez les chercheur.euses, enseignant.es et animateur.rices.
Le projet a également modifié le travail des chercheur.euses en leur permettant de construire et trouver leur place au sein d’un collectif et de collaborer en lien étroit avec des animateur.rices proches du terrain. De leur côté, les animateur.rices, ont gagné en confiance pour aborder le travail au même titre que la technique ou l’économique avec les agriculteur.trices. Le thème du travail leur semble une bonne porte d’entrée pour faciliter la transition vers des systèmes plus durables. Enfin, les enseignants ont une meilleure connaissance du travail des éleveur.euses et des outils pour faire réfléchir leurs étudiant.es sur ce thème.
Tous repartent convaincus de l’importance de replacer “la personne au travail” au centre de leurs recherches, leur accompagnement ou enseignement.
En savoir plus sur le projet Transaé
Un article de Olivia Tremblay, ex animatrice Civam AD 49,(aujourd’hui au Gab 56)
Issu de La lettre de l’agriculture durable – n°92 – printemps 2020