Les motivations des éleveuses et éleveurs à développer ces systèmes d’élevage répondent à de nombreux enjeux sociétaux : activités dans les territoires ruraux, environnement, santé, paysage, bien-être des éleveur.ses et des animaux, etc. Les lister a permis de commencer la définition de critères communs à regarder sur les fermes pour y répondre : chargement, part du pâturage dans la ration, viabilité et travail dans les fermes, durée d’engraissement, haies, etc.
Quels animaux engraisser ?
Si l’engraissement des femelles est une constante dans les systèmes herbagers, celui des mâles est beaucoup moins répandu. Or ces animaux vendus maigres seront bien engraissés quelque part et probablement pas à l’herbe ! Les participants ont abordé ces impacts délocalisés sur l’aval, en regardant le taux d’engraissement des élevages.
Quid de la race ? Paroles d’éleveurs
“Il faut avant tout chercher un système d’élevage basé sur l’herbe pâturée pour l’élevage et l’engraissement.”
“Il est possible d’engraisser 100% à l’herbe avec la plupart des races”. “C’est moins vrai en Blonde…” “Voire en Parthenaise !”
“Une race plus précoce se finira plus vite, ce qui présente un intérêt économi-que.”
“Le travail de sélection de l’éleveur.euse pour adapter le troupeau au système pâturant joue aussi”. “L’éducation des jeunes également : leur donner des fourra-ges grossiers pour former l’encombrement de la panse, les éduquer au pâturage avec les animaux plus âgés.”
“Au sein d’une même race, ne faut-il pas rechercher des petits gabarits?”
Comment engraisser ses animaux au pâturage ?
Les pratiques varient entre éleveurs.euses et fermes de conditions pédoclimatiques différentes (de la Normandie à l’Aveyron !) et leurs désignations diffèrent : engraissement à l’herbe/avec de l’herbe/au pâturage. Une certitude ressort cependant : il est possible d’engraisser à l’herbe pâturée, des ovins ou des bovins, même si cela nécessite plus de temps et de la saisonnalité avec des périodes de maintien d’état au fourrage stocké.
Quels résultats des fermes ?
Une comparaison des résultats économiques et énergétiques de systèmes d’élevage selon les modes d’engraissement montre que le système herbager dégage plus de valeur ajoutée à l’hectare qu’un système broutards ou taurillons en ration sèche à l’auge. Le système herbager a aussi un bilan énergétique et un bilan émission de gaz à effet de serre plus faible, même rapportés à l’unité produite.
Quel impact des facteurs d’élevage sur les qualités de la viande ?
S’appuyant sur les parutions scientifiques et sur des expériences d’éleveurs, Nathan Morsel de l’Adapa a réalisé une étude approfondie sur l’impact des facteurs d’élevage sur les qualités des viandes. ( résultats ci dessous ). Nathan a présenté les résultats de son étude et les discussions se sont poursuivies avec des bouchers. Des groupes avaient déjà échangé avec des professionnels :
“Le CFA boucherie de Tulle nous avait contactés pour avoir des carcasses différentes de ce qu’ils avaient l’habitude de voir. On a fait tuer une vache et on a fait un debriefing. Le gras blanc cassant, la couleur et la tendreté les ont marqués.“
Différentes mesures de qualité pour la viande
Plusieurs mesures de qualité ont été étudiées: nutritionnelle (acides aminés, type d’acides gras, minéraux, vitamines), organoleptique (couleur, jutosité, tendreté, goût/odorat), carcasse (conformation, état d’engraissement, couleur & fermeté du gras), bouchère, sanitaire et stabilité oxydative.
Des qualités qui sont liées à l’animal (race, âge, sexe), à la conduite d’élevage (déplacement, période de restriction, stress, vitesse d’engraissement, concentration) et à l’alimentation (nature, équilibre, densité), avec des interactions entre tous ces facteurs !
Trois tissus du muscle sont impactés, qui font les “qualités” de la viande : musculaire, conjonctif et adipeux. Les fibres musculaires donnent la couleur, elles sont plus rouges avec l’âge et conservent mieux l’eau, mais l’oxydation les fait brunir. Le tissu conjonctif, composé de collagène, durcit avec l’âge. Le tissu adipeux se développe en dernier lors de la croissance de l’animal. Le gras intramusculaire, le fameux « persillé », est le dernier à se mettre en place dans les tissus adipeux.
Durée d’engraissement & alimentation déterminants
La durée d’engraissement est donc déterminante, mais la précocité également : elle traduit la vitesse de mise en place des tissus et donc de l’engraissement. Les femelles sont plus précoces que les mâles, les races laitières plus précoces que les allaitantes et parmi les allaitantes, les races rustiques et anglo-saxonnes sont plus précoces que les autres.
L’alimentation des animaux est aussi un facteur déterminant. La flore des prairies amène plus d’oméga 3, de vitamines, de minéraux, de terpènes qui apportent du goût et d’antioxydants qui stabilisent les qualités nutritionnelles et organoleptiques. La valeur alimentaire baisse avec le stade de l’herbe et avec le séchage (herbe stockée). Les bienfaits d’une alimentation à l’herbe s’estompent dès que les animaux changent de régime, avec un effet “pâturage” qui disparaît au bout de 2 mois.
“Période de restriction.”
Un animal de “report” maintenu au foin pour être engraissé à la prochaine saison de pâturage, va mobiliser en priorité son gras de couverture plutôt que son gras intramusculaire, plus stable. Il y aura donc une meilleure répartition des types de gras. Pendant cette période, la croissance est ralentie. Quand l’animal jeune est remis au pâturage, un rattrapage de croissance a lieu, appelé “croissance compensatrice”. De nouvelles fibres de collagène sont synthétisées, augmentant la tendreté du tissu conjonctif.
Engraissement à l’herbe pâturée : le bilan
Quels débouchés pour les animaux engraissés à l’herbe ?
Le constat est que l’élevage allaitant français a été spécialisé pour être naisseur de broutards à grosses carcasses pour l’export, y compris en raison des politiques publiques historiques avec les primes à la vache mère et non à l’UGB. A côté, les fermes laitières n’élèvent pas non plus la plupart des veaux issus du troupeau, qui partent en exploitation de veaux de boucherie. Aller plus loin, lire aussi ” Que faire des veaux mâles ? “
En filière longue les prix de la viande sont tirés par l’élevage laitier, tandis que la consommation se tourne globalement vers des viandes maigres et transformées. Le consommateur est noyé par les labels et marques souvent trompeuses appuyées par de gros moyens marketing.
Quelle place pour l’engraissement au pâturage dans tout cela ? Peut-être faut-il réfléchir des partenariats pour engraisser les veaux des élevages laitiers pour les filières longues, et se démarquer sur des filières territoriales avec des produits de qualité ? Après deux journées d’échanges conviviaux et productifs, les participants repartent avec de nombreuses pistes de travail pour leur groupe, leur territoire et le Réseau Civam !
Un article de Jacques Gauvreau, éleveur bovin allaitant en Corrèze et référent Réseau Civam
Romain Dieulot, Réseau Civam et Nathan Morsel de l’Adapa
Paru dans La lettre de l’agriculture 4 durable – n°91 – hiver 2020