Économiser l’eau en protégeant les sols, c’est ce que font les sœurs du Monastère de Solan, dans le Gard. Pour le réseau Agriculture Durable de Méditerranée (ADméd), cet enjeu est chaque fois plus grand, d’année en année. Une trentaine de ses membres est donc allée à la rencontre de la sœur Issofia, cheffe de culture du domaine et de Olivier Hébrard, consultant en agroécologie et gestion intégrée de la ressource en eau, pour s’inspirer et comprendre les techniques mises en place par les religieuses. La visite a traversé trois parcelles : les premières en maraîchage plein champ avec panneaux photovoltaïques, les secondes en maraîchage sous serre mobile sur rails et les dernières, des parcelles de pommiers et vignes en terrasse.
L’objectif global recherché est qu’une goutte d’eau mette le plus de temps possible pour sortir du domaine. L’élément essentiel pour y arriver est le sol, qui peut stocker et freiner l’eau (comme un « couscous » ou une « éponge ») à travers la mise en place de couverts végétaux, la présence de micro-organismes, le compostage, etc.
Économiser l’eau en protégeant les sols
Sur les parcelles cultivées, la couverture des sols est permanente (engrais vert à base de graminées, légumineuses, crucifères pour leur racine en pivot, Bois Raméal Fragmenté…) et les sols peu ou pas travaillés. Les couverts permettent la protection de ces derniers contre les UV qui détruisent les microorganismes, la limitation de la montée en température du sol et l’apport de matière organique. Le paillage est utilisé quand l’enherbement naturel ne prend pas, les sœurs ont ainsi observé un écart de 8 degrés à 10 cm de profondeur entre zones paillées ou non paillées : « 1 paillage vaut 2 arrosages ! » dit leur adage !
Les moyens mécaniques
L’ombre – Le maraîchage se fait sous ombrières. Au vu du rayonnement, il n’y a pas de concurrence avec la photosynthèse. L’ombre peut être générée par la mise en place de voiles, par des semis de plantes hautes et/ou couvrantes telles que le sorgho ou le tournesol géant ou encore par des panneaux photovoltaïques. Les sœurs ont le projet de faire monter de la vigne sur les tiges des panneaux photovoltaïques et de faire une « pergola » au-dessus du potager pour protéger du soleil et instaurer un microclimat. Pourquoi la vigne plutôt que des arbres et de l’agroforesterie ? « Parce que la vigne est plus facile à tailler d’une année sur l’autre en fonction du contexte », explique sœur Issofia.
La serre mobile sur rails – Elle permet une régénération du sol sous son habitacle par la mise en repos de la parcelle et le semis de couverts.
Des fossés – Sur les parcelles de vigne, des baissières ont été mises en place. Ces fossés surmontés d’une butte et qui suivent les courbes de niveau, favorisent le maintien de l’eau sur les parcelles. Ces baissières constituent des zones privilégiées pour le développement des strates arbustives et arborées, sous forme de haies notamment.
Les moyens organiques
Une autre pratique agroécologique utilisée en permaculture est mise en place sur le site, l’utilisation de Litière Forestière Fermentée ou LiFoFer. Cette technique de lacto-fermentation consiste à sélectionner, multiplier et mettre en solution les micro-organismes de sols de forêts pour une variété d’applications en agriculture et en élevage. Au Monastère de Solan la LiFoFer est utilisée notamment pour les semis des engrais verts (graminées trempées dans la LiFoFer avant semis), et pour réduire la pression de mildiou sur la vigne (application tous les 15 cm de pousse ou tous les 15 mm de pluie).
Diverses pratiques de compostage sont également utilisées sur le site :
. le Bokashi : compostage anaérobique ( fermenté et enrichi de micro-organismes,
. la méthode Wenz : compostage de surface consistant en la destruction des couverts végétaux et leur incorporation superficielle avec l’emploi de ferments lactiques pour favoriser une bonne décomposition et un bon recyclage de la matière,
. la méthode Jean Pain : compost de brousailles.
Faire face aux sécheresses
Grâce à ces pratiques et aux aménagements paysagers (mosaïque parcellaire, mare…), le site se comporte aujourd’hui comme une éponge qui favorise la rétention de l’eau dans les sols et le sous-sol ainsi que la recharge des nappes. L’eau est ainsi redistribuée au bénéfice des végétaux, des sources du bassin versant, des micro-climats et de la biodiversité dans son ensemble. Cette gestion permet de mieux affronter les sécheresses. Après des mois sans pluie, les parcelles de vigne souffrent beaucoup moins du manque d’eau que les parcelles voisines et le ruisseau du domaine coule toujours. Elle permet également de tamponner les pluies cévenoles : l’eau du ruisseau n’est jamais marron, ni ne déborde.
Le fonctionnement particulier du monastère, par un travail collectif et une main d’œuvre importante et des besoins de rentabilité réduits, permet ce travail d’expérimentations de pratiques sur du long terme. Par ses caractéristiques, tout le système n’est pas reproductible en tant que tel, mais ces pratiques sont inspirantes pour les paysans et paysannes.
Les participant·es à l’atelier ont constaté à l’issue de la journée :
- qu’il était nécessaire d’apporter une réponse systémique sur les questions d’eau, de biodiversité, d’agroécologie et une sensibilisation/formation de tous les acteurs du territoire,
- qu’en tant qu’agriculteur.ices il fallait prendre en compte la géométrie de l’espace et la géologie pour penser les aménagements sur sa ferme,
- et que cela peut passer par des chantiers collectifs d’aménagement paysagers, de compostage… dans une logique de « faire ensemble ».
D’après l’article de Maÿlis Carré paru dans la LAD 108 en avril 2024